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17 août 2016

Albertine, Suite....

 

tumblr_o12wdaY1sT1tmflr9o1_540Seulement Alberte, avec sa tête d'acier, trouvait à chaque fois un prétexte. Elle était souffrante... Elle cherchait le sucrier sans flambeau, de peur de réveiller personne...

− Ces têtes d'acier−là ne sont pas si rares que vous avez l'air de le croire, capitaine ! interrompis−je encore. J'étais contrariant. − Votre Alberte, après tout, n'était pas plus forte que la jeune fille qui recevait toutes les nuits, dans la chambre de sa grand−mère, endormie derrière ses rideaux, un ornant entré par la fenêtre, et qui, n'ayant pas de canapé de maroquin bleu, s'établissait, à la bonne franquette, sur le tapis... Vous savez comme moi l'histoire. Un soir, apparemment poussé par la jeune fille trop heureuse, un soupir plus fort que les autres réveilla la grand−mère, qui cria de dessous ses rideaux un : “ Qu'as−tu donc, petite ? ” à la faire évanouir contre le coeur de son amant ; mais elle n'en répondit pas moins de sa place : “ C'est mon busc qui me gêne, grand maman, pour chercher mon aiguille tombée sur le tapis, et que je ne puis pas retrouver ! ”

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− Oui, je connais l'histoire, reprit le vicomte de Brassard, que j'avais cru humilier, par une comparaison, dans la personne de son Alberte. C'était, si je m'en souviens bien, une de Guise que la jeune fille dont  vous me parlez. Elle s'en tira comme une fille de son nom ; mais vous ne dites pas qu'à partir de cette nuit−là elle ne rouvrit plus la fenêtre à son amant qui était, je crois, M. de Noirmoutier, tandis qu'Alberte revenait le lendemain de ces accrocs terribles, et s'exposait de plus belle au danger bravé, comme si de rien n'était. Alors, je n'étais, moi, qu'un sous−lieutenant assez médiocre en mathématiques, et qui m'en occupais fort peu ; mais il était évident, pour qui sait faire le moindre calcul des probabilités, qu'un jour... une nuit... il y aurait un dénouement...tumblr_o8k6hjg1Hr1r8p1vfo1_540

− Ah ! oui, fis−je, me rappelant ses paroles d'avant son histoire, le dénouement qui devait vous faire connaître la sensation de la peur, capitaine.

− Précisément, répondit−il d'un ton plus grave et qui tranchait sur le ton léger que j'affectais. Vous l'avez vu, n'est−ce pas ? depuis ma main prise sous la table jusqu'au moment où elle surgit la nuit, comme une apparition dans le cadre de ma porte ouverte, Alberte ne m'avait pas marchandé l'émotion.

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Elle m'avait fait passer dans l'âme plus d'un genre de frisson, plus d'un genre de terreur ; mais ce n'avait été encore que l'impression des balles qui sifflent autour de vous et des boulets dont on sent le vent ; on frissonne, mais on va toujours. Eh bien, ce ne fut plus cela. Ce fut de la peur, de la peur complète, de la vraie peur, et non plus pour Alberte, mais pour moi, et pour moi tout seul.

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Ce que j'éprouvai, ce fut positivement cette sensation qui doit rendre le coeur aussi pâle que la face ; ce fut cette panique qui fait prendre la fuite à des régiments tout entiers. Moi qui vous parle, j'ai vu fuir tout Chamboran, bride abattue et ventre à terre, l'héroïque Chamboran, emportant, dans son flot épouvanté, son colonel et ses officiers ! Mais à cette époque je n'avais encore rien vu, et j'appris.., ce que je croyais impossible.

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“ Écoutez donc... C'était une nuit. Avec la vie que nous menions, ce ne pouvait être qu'une nuit... une longue nuit d'hiver. Je ne dirai pas une de nos plus tranquilles. Elles étaient toutes tranquilles, nos nuits. Elles l'étaient devenues à force d'être heureuses. Nous dormions sur ce canon chargé.

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Nous n'avions pas la moindre inquiétude en faisant l'amour sur cette lame de sabre posée en travers d'un abîme, comme le pont de l'enfer des Turcs ! Alberte était venue plus tôt qu'à l'ordinaire, pour être plus longtemps.

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Quand elle venait ainsi, ma première caresse, mon premier mouvement d'amour était pour ses pieds, ses pieds qui n'avaient plus alors ses brodequins verts ou hortensia, ces deux coquetteries et mes deux délices, et qui, nus pour ne pas faire de bruit, m'arrivaient transis de froid des briques sur lesquelles elle avait marché, le long du corridor qui menait de la chambre de ses parents à ma chambre, placée à l'autre bout de la maison.

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Je les réchauffais, ces pieds glacés pour moi, qui peut−être ramassaient, pour moi, en sortant d'un lit chaud, quelque horrible maladie de poitrine... Je savais le moyen de les tiédir et d'y mettre du rose ou du vermillon, à ces pieds pâles et froids ; mais cette nuit−là mon moyen manqua... Ma bouche fut impuissante à attirer sur ce cou−de−pied cambré et charmant la plaque de sang que j'aimais souvent à y mettre, comme une rosette ponceau... Alberte, cette nuit−là, était plus silencieusement amoureuse que jamais.

Lit plongeon

Episode Précédent ici: http://hasardelles.canalblog.com/archives/2016/01/17/33225459.html

 

Source: le Rideau Cramoisi in Les Diaboliques, Jules Berbey D'Aurevilly, 1874

©Illustrations, Source:Internet, auteurs: inconnus, sauf mentions indiquées®

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